Le principe développé à l’époque par Norman McLaren est simple : il s’agit de laisser dix ou douze images noires entre chaque phase d’animation et d’opter pour un principe de discontinuité. Cette contrainte, à l’origine du film Blinkity Blank (1955), aboutit à un effet particulier, car c’est après quelques essais que McLaren découvre le produit de ces écarts sur la pellicule, offrant une forme d’animation intermittente. L’expérimentation technique et la confrontation aux contraintes sont donc à l’origine d’une expérience plastique singulière. Si McLaren ne réalise que peu de films suivant cette technique, elle sera en revanche reprise par Pierre Hébert, qui y voit un vrai geste politique[3] (celui d’une intervention sur la pellicule de l’ordre de la dégradation).
Or, si Hébert reprend cette technique de base, c’est justement pour l’adapter afin d’obtenir des effets moins intermittents, qui ne reproduisent pas les formes obtenues par McLaren. Le dispositif qu’il met en place cherche alors à pallier le problème de repérage posé par l’opacité de la pellicule : là où la pellicule transparente permet l’utilisation de l’appareil de McLaren, reposant sur le jeu de miroir précédemment décrit, la pellicule opaque impose de trouver une autre méthode pour que l’animateur sache précisément où réaliser son dessin sur la pellicule, et comment assurer un effet de continuité dans le mouvement ou même dans la fixité des formes (garder un dessin identique sur un grand nombre d’images est un des défis de l’animation sur pellicule). Le principe développé par Hébert repose sur l’utilisation de règles transparentes (afin de pouvoir toujours voir la pellicule lorsqu’elles sont placées au-dessus de celle-ci), mesurant 6 et 12 pouces, et permettant de couvrir respectivement une ou deux minutes de film (correspondant à une certaine longueur de la bande). La règle de 12 pouces est privilégiée, l’autre servant uniquement lorsque la première se fait trop encombrante.
La méthode vise à marquer chaque image de manière à ce que l’animateur puisse délimiter précisément la surface du cadre. Les points de repère sont ainsi placés sur la marge de la pellicule (souvent du côté droit), entre les perforations : il est par exemple possible d’y faire figurer la structure rythmique de l’action, en mettant une indication toutes les 10, 12 ou 24 images. Mais il est surtout possible ainsi de repérer les bordures supérieures et inférieures du cadre de l’image, ce qui traduit une compréhension du fonctionnement de la pellicule : la frontière entre deux images se trouve en effet à la moitié de chaque perforation, ce qui implique que cette ligne imaginaire ne doit pas être dépassée pour chaque dessin (auquel cas l’illustration déborderait sur le cadre de l’image suivante). Hébert tend à privilégier le bas ou le haut de chaque perforation comme limite du cadre pour éviter cette zone incertaine du « mileu », perceptible à l’œil nu, mais difficilement mesurable. D’où l’intérêt, toujours selon lui, de privilégier les pellicules à double perforation, afin de déterminer avec plus d’acuité les lignes imaginaires séparant horizontalement chaque photogramme.
[3] Pierre Hébert, « Description technique de la gravure sur pellicule », Perforations, vol. 10, n° 2, « Spécial Animation », avril 1991, p. 13.